Deezer du mat, j'ai des frissons
Dès que l'album de Jenny Lewis a été disponible sur eMusic, je me suis empressé de le télécharger pour avoir le temps de m'en imprégner avant le concert. Mais je n'ai pratiquement pas profité de cet achat, ce qui ne m'a pas empêché de le connaître par coeur le jour dit. Par quel prodige ? Parce que, comme j'avais oublié de le transférer sur une clé USB pour pouvoir l'emmener au bureau, je l'ai écouté sur Deezer toute la journée. Je me suis même trouvé bien bête de l'avoir acheté, puisque je peux y accéder autant de fois que je veux gratuitement. C'est juste après avoir pensé ça que j'ai eu très peur. Qu'est-ce que je venais de dire ? Que je regrettais d'avoir acheté un disque que j'adore, tout ça parce j'ai pu en profiter sans payer ? Le côté obscur, que je pensais avoir terrassé, allait-il à nouveau faire de moi son esclave ?
Et le pire, c'est certainement que tous les disques dont j'ai envie sont actuellement disponibles sur Deezer. A l'heure où j'écris ces lignes, je prends des leçons de Solo Piano avec Philip Glass, que j'ai découvert grâce au player exportable qui figure sur le blog de Thomas Cadène. Et j'ai passé l'après-midi en compagnie du dernier Ray Lamontagne, qui me bouleverse comme aucun autre de ses disques n'était arrivé à le faire jusqu'ici, sans doute parce qu'il y a insufflé un supplément de soul qui fait des étincelles (Ou plus simplement parce que je n'ai pas suffisamment prêté attention aux précédents, qui n'est pas une hypothèse à négliger). Puisque je peux les écouter à partir de n'importe quel ordinateur, et que l'un d'eux est même branché sur des enceintes de salon, que m'apporterait-il d'aller les acheter, si ce n'est le plaisir d'entasser un boîtier supplémentaire sur des étagères déjà surpeuplées ?
J'ai honte d'avoir des pensées pareilles, mais je crains de ne pas être le seul. En offrant un point d'écoute légal et gratuit, Deezer, sous prétexte d'offrir une alternative à la piraterie, n'est-il pas en train de donner le coup de grâce aux derniers acheteurs ? Et si l'avenir, c'était le prêt ? Ne plus avoir de disques chez soi, mais pouvoir accéder à tout moment à une base de données personnalisée ? Hier, je relisais Voyage au coeur de la tempête de Will Eisner. Je n'avais certainement pas ouvert ce livre depuis que je l'ai acheté il y a près de 15 ans. J'aurai très bien pu ne pas le posséder que ç'aurait été pareil. Du coup, je me pose des questions. Moins existentielles que celles qui animaient le père du Spirit, mais tout aussi basiques. Et ce n'est pas Ray ni Philip qui vont m'aider à y répondre. Eux, il suffit que je fasse démarrer>arrêter l'ordinateur pour qu'ils s'évanouissent. Et c'est peut-être ça qui me manquerait : la preuve qu'ils étaient bien là, juste à côté de moi, à me dire dans le creux de l'oreille : va te faire soigner, mec.