Surfer Rosa

"Grosso modo, on peut dire que tout était détruit. Les pertes étaient juste colossales. Les jeunes étaient pour l'essentiel morts, la plupart des vieux n'avaient pas mieux passé l'épreuve, et le tentacule est un truc qui pollue énormément en brûlant. En résumé : grosse déprime sur la planète". Pourtant on ne peut pas dire que Rosalinde se soit économisée depuis le début de l'invasion extra-terrestre : à en croire Muchu, son ancienne rivale, c'est même elle qui a sauvé le monde. Pas mal pour une retraitée qui, depuis la mort de son cher Edmond, goûtait des jours paisibles dans une fermette isolée. Mais le gouvernement provisoire ne l'entend pas de cette oreille et a vite fait de la mettre au placard.  Heureusement que Muchu, depuis la plage privée où elle organisée des soirées, est là pour lui remonter le moral. Cette émule de Cathy Guetta ne prendrait-elle pas trop d'ascendant sur Rosalinde ? Le pouvoir ne devrait-il pas la faire subitement disparaître en mettant ça sur le dos de la secte des "jeunes rebelles" qui vivent dans les ruines du septième arrondissement de Paris ?

Si j'avais acheté le premier album de Thomas Cadène pour le dessin, je l'ai rapidement revendu à cause du scénario. J'ai beaucoup plus été convaincu par le second, lors duquel un homme découvre qu'il a le pouvoir de faire des miracles, sauf celui de faire revenir sa femme : A travers moi. Rosalinde contre attaque (sévère) s'inscrit dans cette même perspective délirante, en poussant le bouchon encore plus loin. Dès les premières pages, où cette ancienne des services secrets massacre une créature qui fait dix fois sa taille à coups d'Opinel, le ton est donné. L'auteur le conservera pendant près de 150 pages, en se renouvelant dans le n'importe quoi. Sa technique graphique s'est affinée, et son dessin sinueux s'est encore amélioré. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en l'achetant (il est très difficile d'avoir une impression d'ensemble d'après la couverture), mais j'y ai adhéré comme à un de ces mangas abracadabrants dont je raffole.

"Maintenant, dans la tête de Rosalinde, c'est quand même un peu le bordel. Il faut qu'elle fasse le point, qu'elle se rassemble comme on dit. Je ne serai pas utile à Muchu si je suis éparpillée, se dit-elle avec sagesse. C'est là qu'on voit que l'expérience, c'est pas rien". Après un thriller et une fable existentialiste, le troisième album de Thomas Cadène est à ce jour son meilleur. Depuis quelques mois, il tient un blog sur lequel il prépublie le prochain, qui lui a été inspiré par une photo de Kate Moss : Sextape. On le voit dessiner directement à partir de sa palette graphique, et il a ce même regard inquiet qu'il prête parfois à ses personnages. Si ses carnets de note sont désespèrement vides, l'envie est là. Et l'envie, comme dirait Rosalinde, c'est pas rien.