Chuck Me I'm Famous
Tous les matins, je retrouve Chuck sur le quai du métro et on fait le chemin ensemble jusqu'à la porte de Clignancourt. Le fait qu'il ait des avis arrêtés sur à peu près tout et n'importe quoi (la forte dose d'énergie sexuelle statique au sein des journaux étudiants, la carrière de Falco, en quoi Kid A prédit le 11 septembre 2001, le délai réglementaire avant de sortir avec l'ex de son meilleur ami, la frontière ténue entre la tristesse et l'intelligence, les films dont le héros est victime d'un complot auquel personne ne croit sauf lui, les gens qui assistent aux concerts uniquement pour pouvoir dire ensuite qu'ils y étaient...) ne me dérange pas du tout : au contraire, j'adore ce mélange de lucidité et de mauvaise foi qui le caractérise. Souvent, je suis largué, surtout quand il m'entreprend sur des sujets aussi pointus que Foghat, Edward Winter ou REO Speedwagon. Mais je bois du petit lait en l'écoutant. J'oublie qu'en raison des travaux, la station Jaurès est actuellement fermée au public, et j'ai l'impression de me retrouver à l'intérieur d'une Ford Taurus Silver qui traverse les Etats-Unis.
C'est la première fois que je relis Je, la mort et le rock'n'roll de Chuck Closterman, et ce livre soulève toujours autant de questions chez moi : Comment parvient-il à me faire rire tout en égratignant mes groupes préférés ("Chaque type de Joy Division aurait dû se pendre, probablement ; New Order n'aurait manqué à personne, à part à une bande d'idiots qui pensent de prendre des drogues et danser est plus fun que boire et se sentir mélodramatique") ? Pourquoi écrire sur le rock n'est-il pas toujours aussi ludique ? Comment se fait-il que je me sente aussi proche de cet originaire du Minesotta qui soliloque sur le fait que "Walking in LA" des Missing Persons est probablement le single le plus visionnaire de 1982 ? Comment est-il arrivé à concilier indépendance d'esprit et conscience professionnelle ?
Plus je relis Chuck Closterman, plus je deviens imperméable à la critique, car elle n'a absolument pas tenu compte des brimades qu'il lui fait endurer ( "En ce moment, le journalisme rock consiste principalement en une chronique légère accompagnée d'un question / réponse : ça n'apprend rien à personne (habituellement) et il n'en sort rien de nouveau (jamais)". Je, la mort et le rock'n'roll est paru en 2005, et malheureusement aucun disciple n'est apparu depuis pour soutenir l'auteur dans sa croisade contre le musicalement correct. Il n'a pas l'air pour autant de mal s'en porter, bien au contraire : sa récente chronique des remasters des Beatles est haut la main ce que j'ai pu lire de plus original sur le sujet.
Deux fois par jour et cinq fois par semaine, je retrouve Chuck. J'avance sans me presser. Je me délecte quand j'apprends que Rumours de Fleetwood Mac est son album favori des années 70, et je ricane quand il se moque d'Interpol. Si je relis Je, la mort et le rock'n'roll, c'est pour mieux enchaîner sur Sexe, drogues et pop-corn, son second ouvrage traduit en français. Je ne sais pas s'il me marquera autant que le précédent, mais je suis par contre deux fois plus impatient de le découvrir. Je sais qu'il m'attendra sur le quai direction Porte Dauphine sous le coup des 09h20. Et que pour rien au monde je ne raterai ce rendez-vous.