Le cercle des séries disparues
A l'origine, il s'agissait juste d'un trafic de VHS entre initiés. Tu ne connais pas ? Attends, c'est dément. Je vais te passer une cassette, tu vas voir. En plus, c'est en VO sous-titrée. Les produits échangés sous le manteau portaient les noms de Seinfeld, King of The Hill ou Doctor Katz. Et j'y ai pris goût, finissant par acquitter un abonnement mensuel auprès d'un cablo-opérateur pour avoir ma dose hebdomadaire de séries américaines. Difficile d'imaginer, à l'heure à Série Club et Canal Jimmy recyclent des Navarro et des Médecins de nuit, que ces chaînes ont pu proposer il y a 10 ans la crème de la fiction télévisée importée. Et pourtant...
Twitch City, The Job, Journal intime d'un homme marié, Six Feet Under, La caravane de l'étrange, Action... je ne compte plus les découvertes que j'ai pu faire grâce à ces deux sœurs jumelles. A l'époque, en matière de choix, le câble constituait vraiment une alternative aux chaines hertziennes. Et si le filon ne s'est jamais tari, c'est le robinet qui a commencé à faire des siennes, ne délivrant plus que de l'eau tiède au goutte à goutte. Les séries les plus attendues (24, Les Sopranos) sont parties sur Canal +, quelques-unes ont transité par Paris Première (Nip Tuck, My Name Is Earl) et il ne vous restait plus qu'à éplucher les toutes petites lignes des programmes à l'affût d'une rediffusion... en VF. Comme par hasard, c'est à ce moment que le téléchargement a pris le relais. Pourquoi l'offre légale s'est-elle à ce point appauvri alors qu'il aurait fallu redoubler d'inédit pour contrecarrer la piraterie ? Pourquoi la multiplication des chaînes spécialisées n'a t-elle pas donné naissance à des émules de Jimmy ou de Série Club dont la ligne éditoriale resterait axée sur la nouveauté et l'originalité ? Pourquoi aucune chaîne en France ne diffuse t-elle actuellement Testees, How Not To Live Your Life ou Flight of the Conchord ?
Si j'ai la nostalgie des séries qui passaient sur le câble il y a 10 ans, c'est aussi parce qu'elles ont pratiquement disparu du paysage télévisuel. A moins de commander par internet des coffrets sur lesquels le sous-titrage français n'est pas systématique, il n'y a pas d'autre moyen légal de les revoir. Ou de les faire découvrir, vu que leur potentiel est loin d'être épuisé (Entourage, par exemple, n'est qu'une pâle copie de Action, excellente série qui a été abandonnée au bout de 13 épisodes et que Jimmy a diffusé en 2001). Je leur dois certainement de m'avoir mis le pied à l'étrier (avec La trilogie du samedi, inoubliable, évidemment) et de m'avoir préparé à devenir fan de Lost, OZ, Rome, The Shield... Elles forment aujourd'hui le cercle des séries disparues dont le souvenir est perpétué par une horde de fanatiques, les mêmes qui lancent des pétitions pour que L'Age de cristal sorte enfin en DVD et qui récitent par cœur "Quatre femmes, quatre croix, quatre femmes en croix", la prédiction des habitants de Sarek. Je crois que je suis assez fier d'en faire partie, même si c'est au prix de quelques mètres linéaires de bandes enregistrées qui font plier les étagères et de souvenirs tout aussi poussiéreux.