Me and Mr Mulcahy
Peu de chanteurs me bouleversent autant que Mark Mulcahy. Je me souviens encore très bien d'entendre pour la première fois "Pull The Wagon" chez Bernard Lenoir, d'être étourdi par son crescendo et par la prouesse du vocaliste dont la plainte résonne comme un écho. Je suis allé acheter Me and Mr Ray quelques jours plus tard, enregistré à Paisley Park Studios par un groupe réduit à sa plus simple expression : Ray Neal (guitare) et Mark Mulcahy (chant). En choisissant cette formule proche de l'acoustique, Miracle Legion préfigure au crépuscule des années 80 le courant unplugged et grave une douzaine de chansons qui allaient compter parmi les meilleurs de son répertoire, déjà riche de deux albums (The Backyard et Surprise, Surprise, Surprise). L'explosion de Nirvana va modifier la donne : Morgan Creek, fort du succès de la BO de Robin Hood, signe Miracle Legion pour un disque qui va marquer le retour du groupe à l'électricité. Malheureusement, Drenched (1992) ne connait pas le succès attendu, et le label lâche très vite l'affaire. Miracle Legion se retrouve empêtré dans un contrat dont il n'arrive pas à se défaire.
Le groupe revient aux affaires par
le biais de Portrait of a Damaged Family, qui parait en 1996 sur le label monté par Mark
Mulcahy. Peu de temps après, remis à flot par le succès de la
BO d'une série pour la jeunesse qu'il composée, Mark tente
l'aventure en solo. Fathering est splendide : il renoue avec l'émotion de Me and Mr Ray. C'est à ce stade que je
croise sa route, alors qu'il erre à Paris pour trouver un
distributeur. Bernard Lenoir m'accueille quelques minutes avant la Black Session de Tortoise pour que je puisse annoncer la bonne
nouvelle : Mark donnera l'aubade au Wait & See, un des premiers
bars parisiens à consacrer son sous-sol à la musique live. La Grande Sophie, débutante à l'époque, a prêté son
ampli guitare pour l'occasion. Mark a retrouvé la veille en répétant les accords de
"You're The One, Lee", une des plus belles chansons de Me
and Mr Ray, par laquelle il termine son set. Je suis aux anges.
Mark retourne
aux Etats-Unis, et j'ai des nouvelles de lui par intermittence.
Pourtant, j'ai souvent l'impression de l'entendre sur les disques des
autres : sur le premier album de The Prayer Boat, sur ceux de Clem
Snide, Damien Rice, Chad Vangaalen.... Mais l'original n'est jamais égalé. A l'occasion de la
sortie de SmileSunset, Mark joue à l'Hôtel du Nord. Un concert un peu
surréaliste : suite à une plainte du voisinage, les spectateurs
sont sommés de porter des gants pour que leurs applaudissements ne
soient pas trop sonores. Une discrétion qui va malheureusement bien
avec le personnage : tous les enregistrements de Miracle Legion, si
ce n'est celui édité sur Mezzotint, ont disparu du commerce depuis
des années. La cote de Me and Mr Ray flambe sur Ebay. Quelques enregistrements
rares ressurgissent grâce à la bonne volonté d'une
poignée d'internautes. Mais c'est peu, très peu, comparé à
l'immensité de son talent dont Nick Hornby fait l'éloge au chapitre 25 de son 31 Songs.
Et puis, il y
a quelques semaines, tombe la nouvelle d'un tribute album, Ciao My Shining Star. Comme celui
consacré à Vic Chesnutt il y a quelques années, il comporte un casting impressionnant : Thom Yorke, The National, Michael Stipe, Dinosaur Jr, Frank Black, Josh Rouse, Mercury Rev, Elvis Perkins...
Malheureusement, il vient aussi tirer le signal d'alarme : Mark
traverse une période difficile depuis le décès de sa femme. Il doit assumer seul l'éducation de ses jumeaux en bas âge. Autant dire que la musique est, pour le moment, le cadet de ses soucis. C'est donc au tour de ses fans de la faire vivre en son absence, en espérant qu'elle ne soit que momentanée. Et qu'il reçoive entre temps la reconnaissance qui lui est dûe puisque, dans son registre doucement plaintif, il mérite d'être célébré à l'égal d'un Jeff Buckley. Avec quelques cours de natation en plus.