[RE] Ce charmant coeur

Alors que j'aurais été incapable de les raconter, ces scènes ressurgissent de mon subconscient comme par magie. Un éclaireur crapahute avec des pigeons-voyageur dans une cage. Les pensionnaires d'un asile investissent un village déserté pour le faire basculer dans un univers poétique. Deux armées adverses se croisent sans s'apercevoir. Et puis Geneviève Bujold. Ou plutôt Coquelicot, une jeune équilibriste en tutu jaune. J’étais tombé amoureux d'elle dans «Obsession» de De Palma, mais, dans "Le Roi de coeur", elle est encore plus ravissante. Ce qui est drôle , c'est qu'avec ses manières d'enfant, elle fait tout de suite penser à Björk. Sauf que le film date de 1966. Björk a t-elle tout pris à Coquelicot ? Michel Gondry a t-il vu de nombreuses fois «Le Roi de coeur» avant de mettre en scène les clips de l'Islandaise ? Les ressemblances sont troublantes.

Depuis combien de temps n'avais-je pas revu ce film ? Depuis ma plus tendre enfance. Il se pourrait même que ce soit le premier long-métrage que j'ai jamais vu. Et je comprends mieux aujourd'hui pourquoi il m'a autant marqué : c'est un enchantement comparable à celui que provoquent les films de Jacques Demy. Vous ne l'avez jamais vu ? Vous n'en avez jamais entendu parler ? Et pour cause : "Le Roi de coeur" a longtemps vécu en exil. A l'heure où d'autres films moins essentiels de Philippe de Broca sont bradés avec un hebdomadaire de télévision (je vous donne un indice : la semaine dernière, c'était "Le Magnifique"), ce petit chef d'oeuvre a longtemps été réservé aux abonnés de la zone 1. C'est aux Etats-Unis, où visiblement un petit culte lui est voué, qu'il avait trouvé refuge. Doublé ? Même pas : en version originale sous-titrée en anglais, français et espagnol. TF1 Video lui a finalement rendu justice en le publiant en catimini l'an dernier, et à prix malheureusement prohibitif (faites jouer la différence et économisez près de 20 euros !).

Je l’enregistre chaque fois qu’il passe sur le câble et je dois en posséder trois ou quatre copies que je prête à ceux qui n’ont pas encore flanqué leur magnétoscope à la poubelle. Parfois, ils ne me la rendent pas et je ne peux pas leur en tenir rigueur : un trésor pareil, on n’a pas forcément envie de le partager. Encore que : « Le Roi de coeur » est tout sauf un film de niche. C’est un grand conte pacifiste en couleurs qu’on devrait montrer à tous les enfants en âge d’imprimer des coloriages Pokémon à partir d’un ordinateur. Et à ceux qui le sont restés : parce que Julien Guillomard n’a jamais été aussi truculent, parce que Micheline Presle n’a jamais été aussi enjouée. Et parce Geneviève Bujold, tout simplement.