Le syndrôme du hérisson
C'est le nouvel argument en vogue auprès des éditeurs de bandes dessinée : associer un écrivain à une préface pour crédibiliser un ouvrage. Ou recueillir ses impressions dithyrambiques au dos du volume. La première fois que je m'en suis rendu compte, c'est quand Daniel Pennac et Alain Chabat se sont répandus en compliments sur La Vallée des merveilles de Joann Sfar, son plus grand ratage à cette heure. Anna Gavalda y est allé de son petit couplet au début de Aya de Yopougon, sans que sa présence soit à priori légitime. Et ce sont Stéphane et Muriel Barbery qui ont été débauchés pour faire l'éloge de La Montagne magique de Taniguchi. C'est le cas d'espèce le plus intéressant à mon avis, puisque les auteurs de L'Elégance du hérisson sont allés à Tokyo rencontrer le mangaka et en tirer 5 pages d'entretien reproduites à la fin du volume.
J'ai d'abord cru que j'avais entre les mains une édition limitée contenant le dossier de presse en bonus, avant de comprendre que c'était au contraire l'édition standard rallongée d'un rédactionnel superflu qui avait plus sa place dans un magazine que dans un livre. Mais je l'ai lu quand même, espérant trouver la réponse à la question qui m'a obsédée pendant toute la lecture du récit : comment se fait-il que le scénario rappelle autant Mon voisin Totoro de Miyasaki ? Et que la première phrase de La Montagne magique, comme un indice supplémentaire, soit : "J'ai grandi à Tottori" ? Malheureusement, il semblerait que cette "coïncidence" leur ait échappé et qu'ils aient préféré disserter sur "une certaine forme de transe où une frontière est franchie et un passage soignant et transformant devient possible" (je pense que le traducteur a dû demander une augmentation...). Je ne suis pas sûr que ces mariages contre-nature apportent grand-chose aux lecteurs de bandes dessinées, ni qu'ils finissent par convaincre les amateurs de littérature de franchir le Rubicon. J'ai plutôt l'impression d'une sorte de grand n'importe-quoi général dans lequel tout le monde cautionne tout, en oubliant l'essentiel : que les bons livres se suffisent à eux-mêmes.