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30 mars 2008

Jarrystocratie

A ma grande honte, je n’ai jamais consacré la moindre ligne à Grégory Jarry alors que j’ai souvent fait du prosélytisme pour « L’Os du gigot »,  le recueil de ses meilleurs feuilles parus dans le fanzine Flblb. Grégory Jarry ne fait pas que se réapproprier un genre tombé en désuétude : reprenant à son compte les recherches qu‘avait effectué Jean Teulé avec Gens de France, il se sert du roman-photo à la manière d‘un reporter. Il interroge des témoins qui n’ont rien vécu de spectaculaire. Rien, sauf la transformation de la société française au cours au XXème siècle. Son attention se porte essentiellement sur des retraités qui vivent à la campagne : il les interviewe, les prend en photo et reconstruit l’histoire de leur vie modeste sous la forme d’une bande dessinée. Et tout à coup, cette technique qui jusqu’ici était essentiellement associée à des récits à l’eau de rose prend une autre dimension : réelle, personnelle, émouvante. Ce n’est ni plus ni moins qu’une forme de journalisme aussi originale que inusitée.

jarry

Paru à la fin de l‘an dernier, Les maquisards du Poirier s’inscrit dans la même perspective : recueillir le témoignage d’une France qui est en train de disparaître. Sauf que cette fois-ci l’auteur n’a pas agit seul : il a même fait des petits. Pendant l’année scolaire 2006-2007, il a initié des classes du canton de Montemboeuf (Charente-Maritime) au photojournalisme biographique. Il a emmené ses jeunes disciples par groupe de trois (un preneur de son, un photographe et un journaliste) à la rencontre des anciens : Andrée, qui « jouait aux lièvres » et fabriquait des cordes à sauter avec du lierre, Simone, qui faisait 5 kilomètres à pied en sabots pour aller à l’école, Renée, qui se souvient d’avoir vu pleurer sa mère parce qu’elle n’avait pas assez d’argent pour acheter du savon pour laver ses enfants… Le contraste entre la mélancolie qui se dégage des récits et l’extrême précarité de leur cadre est frappant : mais à la campagne, comme l’explique l’un des témoins, l’orgueil n’est pas un vain mot. « A l’époque, on était plusieurs dans un lit car nous étions métayers et nous étions pauvres. Ce n’était pas les pauvres d’aujourd'hui : ils se plaignent, mais ils sont beaucoup plus riches que nous étions à ce moment-là ».

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Grégory Jarry, c’est l’anti-Jean-Pierre Pernault : il tourne le dos aux images d‘Epinal, s‘interdit tout commentaire et ne se met jamais en scène. A la manière de Strip-Tease, c’est un témoin muet mais attentif. Il laisse parler puis scénarise les témoignages. Avec les imperfections liées à l’amateurisme des équipes qu’il a mis à contribution. Certaines photos sont floues, d’autres à contre-jour. Leur imperfection ne fait que renforcer l’authenticité du projet, qui est certainement le plus bel hommage à la vie aux champs que j’ai lu depuis le séminal Le Perche à l’aube du troisième millénaire de Vincent Malone. C’est peut-être la vie dans les petits patelins telle que moi, parisien, je la phantasme depuis le périphérique : mais ces Maquisards du Poirier m’accompagnent dans les transports en commun actuellement. Je les écoute, et parfois je rate la correspondance. Un morceau d’existence, ça vaut bien parfois quelques stations en plus.

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Commentaires
E
On peut désormais lire en ligne l'intégralité de "L'os du gigot" sur le site ego come x : http://ego-comme-x.com/spip.php?article564
G
Ce que vous dîtes des Maquisards est juste et me fait très plaisir.<br /> <br /> Bonne continuation !
A
Puisqu'on est dans les corrections, c'est Grégory Jarry (et non pas Grégoire). J'avais beaucoup aimé L'os du gigot moi aussi, même si j'avais été déconcertée en me rendant compte que le même pépé jouait plusieurs rôles... Ce qui m'avait donc semblé à première vue être une sorte de documentaire s'avérait donc du "faux vrai" intriguant...
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