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7 juillet 2007

Auto (rock) critique

rock1Pourtant j'aime bien Nick Kent. Je suis rarement ses recommandations dans Libération, mais je relis régulièrement L'Envers du rock, livre qui a l'élégance d'être à la fois très bien documenté (première main oblige), très bien écrit et très bien traduit - choses qui, avant que les éditions Alliane  s'attaquent aux tables de la loi dictées par Nick Tosches, Greil Marcus ou Nik Cohn, n'étaient pas aussi fréquentes. J'aime bien Nick Kent parce qu'il ne se donne pas en représentation permanente comme certains de ses collègues. Aussi je suis toujours déçu quand je l'entends raconter des conneries. Et il en balançait quelques-unes dans le hors-série musique de Technikart daté janvier. J'étais d'autant plus déçu qu'il abordait justement un sujet qui est pour moi une des causes inavouées de l'effondrement du marché du disque : le déficit de la critique. Il aurait pu dire pas mal de choses censées, lui qui a aussi bien connu la presse alternative que le Sunday Times. Et au lieu de ça, il balance d'emblée une sentence à valeur définitive : "Il y a toujours de bons critiques rock, mais pas grand chose sur quoi écrire. S'il y avait une scène rock en bonne santé, elle attirerait des critiques enthousiastes et enthousiasmants". J'ai commencé par la relire pour vérifier que j'avais bien compris le fond de sa pensée. Et m'inquiéter : je pense exactement le contraire de lui.

Je suis désolé, mais je ne vois pas tant de si bons critiques de rock : j'aimerai qu'on me parle plus souvent avec l'humour et le détachement de Chuck Klosterman (« Je, la mort et le rock’n’roll ») ou de David Kamp et Steven Daly ("Le dictionnaire snob du rock"). Malheureusement, à de rares exceptions près, tout se vaut à peu près. Si le niveau d'érudition général est assez élevé, tout se ressemble : le ton est poli mais rarement convaincant. Trop souvent les papiers se résument à un résumé de la bio accompagné d'avis convenus (je sais de quoi je parle : je me suis moi-même souvent pris en flagrant délit). Il est d'ailleurs curieux de remarquer que les critiques les plus acerbes sont aujourd'hui celles qu'on peut trouver au sein de généralistes comme Télérama ou Technikart qui, à défaut d'être exhaustifs, ont la politesse d'être au moins subjectifs.

Par ailleurs, il ne faut pas mettre souvent le nez hors de chez soi pour juger qu'actuellement "il n'y a pas grand chose sur quoi écrire". Depuis l'explosion des blogs, de myspace et le développement du commerce en ligne (de Itunes à Ebay, et je n'évoquerai même pas le cas du pire-to-pire...), il n'y a jamais eu autant de musique disponible. Et nous avons plus que jamais besoin de passeurs, de gens qui prennent le temps que nous n'avons plus pour faire le tri. Les meilleurs blogs font partiellement ce travail : ils défrichent. Contrairement à la presse écrite, ils disposent d'un temps de réactivité pratiquement instantané et d'un espace rédactionnel infini. Mais ils n'ont pas pour autant pris le relais  : dans une course effrénée à la nouveauté, ils oublient de prendre du recul, comme ils ne laissent pas non plus, de par leur rythme frénétique, le temps à leurs lecteurs d'approfondir sa relation avec l'artiste ou le groupe mis en avant.

Il ne me semble pas qu'il y ait actuellement moins de groupes passionnants (au hasard : Pinback, Of Montreal, Band of Horses, Jens Lekman, Armand Meliès, The Shins...) qu'il y en a eu dans les années 90 (The Pixies, Dominique A., Pavement, Silver Jews, Smog, Ween...) ou dans les années 80 (Violent Femmes, Echo & The Bunnymen, The Jesus & Mary Chain, Dream Syndicate, Camper Van Beethoven, Daniel Johnston...). Je n'entends pas par là évidemment des groupes qui remplissent les stades : mais de ceux qui font battre mon cœur grenadine un peu plus vite et engendrent un effet de dépendance aussi rapide qu’irréversible (faces b, morceaux live, sessions radio… il me faut rapidement tout). Des disques qui finissent par constituer une sorte de famille par procuration, avec ses lointains cousins américains, ses correspondants anglais… et les voisins de la rue Amelot.

Un peu plus loin, Nick Kent déclare qu’il n’a pas encore vu quelqu’un d’anormalement talentueux dans les années 00. J’aimerai bien connaître son unité de mesure. Si c’est le nombre des écoutes, je crois pouvoir affirmer que j’ai anormalement aimé Iron & Wine, Herman Düne, Julie Doiron, Edith Frost, Stina Nordenstam, 13&God, Why?, Jose Gonzalez, The Postal Service… S’il y a quelque chose qui a bel et bien changé dans les années 00 et qui avait amorcé à la fin des années 80 avec l'apparition du walkman, c’est l’individualisation de l’écoute (et aujourd’hui sa normalisation avec le règne du baladeur MP3 et du emporte-ta-discothèque-partout-avec-toi). Cette individualisation implique peut-être une autre forme de critique prenant en compte que 1/ le rock  dans les années 00, c'est peut-être aujourd'hui quelque chose qui se vit plus de manière personnelle que collective, et que 2/ ce que les blogs ont apporté, c'est aussi tout simplement plus de passion, chose un peu oubliée par la presse professionnelle (l'impartial Lester Bangs s’en plaignait déjà en 1974).

Moi, ce qui me manque à titre personnel, c’est qu'aucun blog français ne soit parvenu au degré de prescription de Pitchfork. Le phénomène serait-il déjà épuisé ? Tout le monde est-il désormais passé au téléchargement direct sans passer par la case critique ? S’il y a bien quelque chose d’anormal dans tout ça, c’est peut-être que tout le monde, après être devenu son propre DJ, est aujourd’hui son critique préféré.

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Commentaires
Y
"Définition du journalisme rock : des gens qui ne savent pas écrire interviewent des gens qui ne pensent pas et rédige pour des gens qui ne savent pas lire" <br /> <br /> Frank Zappa<br /> <br /> - - -<br /> <br /> Le problème des blogs c'est qu'il défende ce qu'ils aiment. On peut difficilement leur donner tort maic comment s'y retrouver dans ce concert d'éloges qu'est la blogosphère.
R
C'est bizarre parce que je trouve les "critiques" de Nick Kent passablement ennuyeuses. En tout cas, il est certain qu'il ne pourrait plus écrire des trucs comme son texte sur les Stones : le "fossé" qui pouvait exister entre les "stars" du rock des années 70-80 et le public s'étant considérablement comblé, on comprend une certaine amertume de sa part. Et puis dans la presse écrite, il est quand même moins risqué de descendre un bouquin en flammes que le nouvel album d'une jeune chanteuse "fille de".
V
C'est amusant, je suis venu lire ton billet avant de me rendre sur Pitchfork, dont je voulais écouter les nouveaux morceaux qu'ils proposent.<br /> Sinon, je suis assez d'accord avec toi. (Mais verras-tu ces mots ?)
S
il me semblait que dans un de tes vieux posts de la PJMEA liste tu disais que tu n'aimais pas 'l'envers du rock' pour son côté " venez voir comme ils sont moches les rockers une fois descendus de scène !" C'est peut-être parce qu'il n'éprouve plus de fascination pour les nouveaux venus qu'il se sent obligé de dire qu'il n'y a plus de bons musiciens. " la vrai spécialité du critique de rock ce n'est pas la musique, ce n'est pas l'information, ce n'est ps le spectacle : c'est le sentiment " F. Gorin 'Sur le rock'.
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